dimanche 23 octobre 2011

Science et stratégie de puissance

MAJ 2011/11/11 : mise à disposition du podcast sur Science et stratégie de puissance (bis)


Information
L'Institut des Hautes Études pour la Science et la Technologie (IHEST) propose un cycle national 2011-2012 au titre alléchant : "Sciences, sociétés et puissance". Le programme est ainsi lancé :
Le fil conducteur proposé pour le cycle national 2011-2012 de l’IHEST permettra d’approfondir les rapports qu’entretiennent les sciences et les technologies avec la puissance des territoires, qu’il s’agisse de ceux des entreprises, des régions, des États, ou d’ensembles plus vastes comme l’Union européenne. L’attractivité pour le développement d’industries de pointe et de services à haute valeur ajoutée, dans un jeu mondialisé, y suppose une stratégie adaptée en termes de recherche et développement, d’innovation et d’éducation. La recherche civile et la prise en compte des grands défis de société y jouxtent la recherche pour la défense et la sécurité des États. La compétition est à l’œuvre et, au-delà des conflits classiques, s’y joue une course à la puissance économique, financière et sécuritaire.

L'ouverture officielle du cycle national 2011-2012 "Sciences, territoires et stratégies de puissance" a lieu ce mardi 25 octobre 2011 au Collège de France. Elle se poursuivra en fin de journée au cours de l’enregistrement de l’émission Science publique de Michel Alberganti : "Quel rôle joue la science dans les stratégies de puissance ?", pour diffusion sur France culture le vendredi 28 octobre de 14h00à 15h00 (et dont le podcast sera diffusé sur la page eMedia). L’émission, en partenariat avec l’IHEST, est enregistrée en public et donne largement la parole au public. Avec le slogan de l'IHEST : "pour une culture de la science et de l'innovation dans la société", une forme d'intelligence scientifique prendrait-elle son essor ?

Citation
Every change is a menace to stability. That's another reason why we're so chary of applying new inventions. Every discovery in pure science is potentially subversive; even science must sometimes be treated as a possible enemy. Yes, even science. (Le changement menace la stabilité. C'est pourquoi nous ne traitons les inventions qu'avec grande précaution. Toute découverte de la science pure est subversive en puissance; même la science doit parfois être traitée comme un ennemi possible. En effet, mêmr la science)
[[Aldous Huxley, écrivain britannique, né en 1894 à Godalming (Royaume-Uni), mort en 1963 à Los Angeles (États-Unis), plus particulièrement connu du grand public pour son roman Le Meilleur des mondes (Brave New World), dont cette citation est issue, au chapitre 16. Déjà cité dans Salade de fruit, plaidoyer pour l'intelligence économique]]

Agenda
Séance publique d'enregistrement de l'émission de Science publique, France Culture, avec l'IHEST - le rôle de la science dans une stratégie de puissance : "Science publique : science, société et puissance", mardi 25 octobre 2011, 18h30 (voir Agenda) en public à la Maison de la Radio. Avec :
  • Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader, directrice de l’IHEST, 
  • Michel Foucher, professeur à l’Ecole normale supérieure de Paris, directeur de la formation, des études et de la recherche de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), 
  • Philippe Gillet, vice-président pour les Affaires académiques, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) , 
  • Amiral Pierre Lacoste, ancien directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et président de la Fondation des études de défense nationale (FEDN), 
  • Heinz Wismann, philosophe et philologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Lien
Le blog Intelligence scientifique & Veille qui semble porter un esprit IE dans une optique science & veille.


samedi 22 octobre 2011

Intelligence économique pour les nuls et les malentendants

Information
Épuisé par trois heures de cours, le train du retour a mis à profit le visionnage et une tentative de retranscrire par écrit un Dessous des cartes sur l'intelligence économique. Pas le meilleur épisode, peu de neuf ("pour les nuls"), mais le voilà écrit ("et les malentendants").

Citation
D'après une citation attribuée à l'américain Michael Eugene Porter, un des gourous du management, on trouve parfois cette définition pragmatique de l'IE. Avis de recherche : si vous avez la citation exacte et les références de Porter, un petit commentaire ? Merci d'avance.
L’intelligence économique consiste à fournir la bonne information, au bon moment, à la bonne personne pour lui permettre de prendre la bonne décision, de bien agir et idéalement de faire évoluer son environnement dans un sens propice.

eMedia
Le dessous des cartes - A quoi sert l'intelligence économique ?  émission diffusée en octobre 2011 sur Arte, et la version Youtube ci-après :








Document
Reproduction du texte, dit par Jean-Christophe Victor, de l'émission : A quoi sert l'intelligence économique ? / Wozu dient "competitive intelligence" ?. Commentaires et ajouts sont indiqués entre [].

Aujourd'hui je vais vous parler d'intelligence économique. Car dans notre environnement mondialisé, les états et les entreprises utilisent cet outil, à la fois pour préserver leur position, mais aussi pour conquérir de nouveaux marchés. Alors, ce concept d'intelligence économique, et pas forcément très précis, est une arme à la fois pour se défendre, pour attaquer, et ce dans un contexte rude, mondial, et hyper concurrentiel.

Regardez ces trois cercles. Il existe trois modes de management de l'information utile : 1) le renseignement économique [Wettbewerbsbeobachtung], 2) la protection du patrimoine, qu'il soit intellectuel, scientifique ou matériel [Schutz des geistigen Eigentums und Sacheigentums]. Et 3) les pratiques d'influence [Einflussnahme], comme le lobbying ou la diplomatie commerciale.

Alors comment est-ce que ca marche exactement ? Commençons par le premier de ces cercles en étudiant les mécanismes du renseignement économique. Le renseignement économique est un ensemble de méthodes et de pratiques qui visent à acquérir les données et les informations. Les sources d'informations formelles et informelles sont donc surveillées en exploitant le web accessible ou restreint, les bases de données, les conversations, et même les rumeurs sur les réseaux sociaux. Et évidemment la presse professionnelle et généraliste, les colloques scientifiques et les salons professionnels. Après les tris nécessaires et les analyses possibles, l'objectif est de transmettre les données pertinentes et les informations stratégiques aux services de l'état et aux entreprises et ce, au bon moment.

Prenons un exemple de système complet de renseignement qui a été mis en place par les États-Unis. A partir de relais satellites, de relais terrestres, et même d'un sous-marin, la NSA, c'est-à-dire la "National Security Agency" qui est l'agence américaine de sécurité intérieure, cette agence s'est équipée d'un réseau d'écoute global dit "réseau Echelon".

Il est le résultat d'une collaboration avec plusieurs alliés, le Royaume Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, auxquels se sont joints ensuite des pays tiers qui ont plus ou moins participé au réseau. Alors ce réseau Échelon a été developpé et utilisé dans un contexte de guerre froide, mais il a continué a fonctionner dans un contexte de guerre économique.


Les capteurs géants, qu'on appelle souvent les grands oreilles, sont dissimulés dans des radômes. Ils couvrent le monde entier grâce à la localisation des états fondateurs du réseau Échelon. Le dispositif est complété par l'écoute des principaux satellites de communication comme Inmarsat et Intelsat et des capteurs sur les câbles sous-marins. Voici l'exemple de cette affaire commerciale très médiatisée en 1995 qui concerne la vente de radars au Brésil et, pour cela, la mise en concurrence de l'américain Raytheon Corporation et le français Thomson CSF [pour "Compagnie Générale de Télégraphie sans fil"]. Ces deux poids lourds de l'aeronautique et de la défense étaient en compétition pour obtenir un marché de 1,3 milliards de dollars destiné à fournir un système de surveillance pour la forêt amazonienne. Alerté par Echelon du versement de dessous de table par Thomson CSF à des responsables brésiliens, le président Bill Clinton serait intervenu directement auprès des autorités brésiliennes et c'est de fait l’américain Raytheon qui finalement a remporté le marché.
Ce lien entre secteur privé, appareil d'état et renseignement n'est évidemment pas le propre des États-Unis. La France possède aussi son propre réseau. Les principales stations d'écoute se trouvent en France métropolitaine comme à Domme en Dordogne, mais aussi dans l'outre-mer comme en Nouvelle-Calédonie, ou à Kourou en Guyane. Le dispositif français [parfois nommé Frenchelon] à l’extérieur est complété par le réseau Ubifrance (ou l'agence pour le développement international des entreprises), qui est présent dans 46 pays, et aussi les chambres de commerces et d'industries françaises à l'étranger présentes dans 74 pays, et enfin bien sûr les services économiques des ambassades de France à l'étranger.

Chacun de ces réseaux distribue des informations utiles au bon moment, et surtout au bon interlocuteur. On comprend donc que le concept d’intelligence économique inclut nécessairement la protection de l'information acquise ou générée, et celle du patrimoine matériel.  C'est notre deuxième cercle, la protection, donc on va comprendre l'utilité avec trois exemples d'attaques illégales, qui ont permis d'espionner, de voler ou de corrompre des données ou des systèmes d'information. Car le réseau Internet a rendu vulnérables les entreprises autant que les systèmes gouvernementaux. En 2009, l'université de Toronto révèle une vaste opération de cyberespionnage. Trois des quatre serveurs identifiés se trouvent dans des provinces chinoises, et le quatrieme localisé chez un hébergeur situé en Californie ; 1300 ordinateurs ont été contaminés, répartis dans près de 100 pays. Ce réseau appelé Ghostnet a particulièrement touché l'Asie du sud, mais aussi dans le reste du monde des ambassades, des organisations internationales, des médias, des ONG ainsi que plusieurs représentations diplomatiques du Dalaï-Lama. Autre exemple : au printemps 2011 la companie Sony, le géant japonais de l'électronique, a été la cible de 10 attaques informatiques majeures à travers ses réseaux en ligne, PlayStation Network et Sony Music Online. Les attaquants ont réussi à voler des millions de comptes utilisateurs. Et il est difficile d'identifier les auteurs et les mobiles des attaques, souvent  furtives et sans traces. Et parmi les suspects, on trouve les groupes de hackers activistes LulzSec [Lulz Security] ou Anonymous. Autre exemple, vous voyez ici la page du site de paiement en ligne PayPal [PayBack] piratée en 2010 par Anonymous en soutien au site Wikileaks.

Le besoin de protection couvre aussi le patrimoine immatériel, c'est-à-dire les idées, les concepts, les inventions. Voici la carte des principaux états qui déposent des brevets auprès de l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle [OMPI]. Il faut savoir que le brevet est un dispositif de protection des innnovations techniques qui garantit un monopole d'exploitation àl'entreprise concernées pour une durée de vingt ans.
Voici les dix entreprises qui ont déposé le plus de demandes internationnales de brevets en 2009 [détails ici]. On trouve quatre japonaises [Panasonic, NEC, Toyota, Sharp], une chinoise [Huwei], une coréenne [LG], une américaine [Qualcomm] et trois entreprises européennes [Bosch, Philips, Ericsson]. Grâce aux brevets, ces sociétés peuvent être offensives commercialement et peuvent aussi contrôler ou bloquer les avancées des entreprises concurrentes. Donc renseignement, protection, voici maintenant le troisième cercle de notre concept d'intelligence économique, l'influence. La démarche, la tentative d'influence, peut prendre la forme d'actions de lobbying auprès des parlements nationaux ou auprès de la commission  européenne.
Par exemple lorsque la commission élabore une proposition  de directive, elle rassemble des informations, recueille les avis de différents groupes d'intérêt et de pression. Selon un rapport du parlement européen en 2007, il y a 3000 groupes d'intérêt au sein de l'union européenne, ce qui représente plus de 20000 lobbyistes issus d'entreprises, de cabinets spécialisés, de fédérations, de régions, alors qu'on ne compte que 15000 fonctionnaires européens. Alors un parfait exemple de lobbying européen concerne le dossier du chocolat. Après 1973 une guerre a opposé les états fondateurs de la CEE aux nouveaux pays entrants : le Royaume Uni, l'Irlande, le Danemark (1986), rejoints ensuite par le Portugal, la Suède et l'Autriche (1995) . Eh bien, ces derniers états revendiquaient en fait le droit d'ajouter aux mélange de base du chocolat c'est-à-dire cacao plus sucre, de la matière grasse autre que celle naturellement contenue dans le cacao, c'est-à-dire le beurre de cacao.
Et ils invoquaient pour cela leurs traditions chocolatières.  Au Royaume Uni c'est la confiserie de chocolat qui prévaut, alors qu'en France c'est avant tout la tablette de chocolat.  Eh bien c'est une dégustation à l'aveugle, organisée par un député travailliste britannique, qui a permis au parlement européeen de voter. La nouvelle directive autorise la production et la commercialistation de chocolat comportant d'autres matières grasses végétales que le seul cacao, car lors de cette dégustation à l'aveugle, persone n'avait vu, ou plutôt senti, la différence.

 Autre outil d'influence économique, l'action vers les enfants et les adolescents. Vous connaissez certainement Pikachu et Hello Kitty. Ces personnages, très connus, sont le symbole du succès mondial des mangas japonais. Dans le but de construire une image positive du pays dans le monde, et particulièrement dans le sud-est asiatique, les autorités japonaises utilisent avec brio la culture populaire, les jeux vidéos, la cuisine et bien sûr les mangas, qui sont devenus d'excellents ambassadeurs. Par exemple la série animée Pokemon rencontre sur la scène mondiale un succès phénoménal puisque depuis son lancement en 1996, 8000 types de produits dérivés ont été commercialisés hors Japon, dont les cartes de jeu qui se sont vendues à 14 milliards d'exemplaires, soit deux cartes par personne dans le monde. Au total l'exploitation commerciale des Pokemons aurait généré en 2005 un chiffre d'affaires de quelques 150 milliards d'euros, et derrières ces images enfantines se cache, bien sûr, une réalité économique. Le Japon est devenu avec les États-Unis le principal exportateur de produits culturels au monde. Et avec ces démarches conjuguées du secteur public et du secteur privé, le Japon a peu à peu renforcé son rayonnement culturel, modifié l'idée dominante selon laquelle l'archipel n'était qu'un animal économique, et estompé [ah, les estompes japonaises] le passé impérialiste de l'archipel.

Dernier exemple d'influence, les chaînes d'information internationales. Elles émettent en continu depuis les mondes occidentaux [CNN, FoxNews, TV5Monde, BBC Word News, France 24, DW-TV ou Deutsche Welle, RT ou Russia Today, ???],  les mondes arabes [Nile TV, Al Jazeera, Al Arabya News Channel], l'Asie [CCTV, NHK Word, Channel ?], l'Amérique du Sud [Telesur]. Sur l'actualité internationale, elles sont chargées de porter la voix, la vision du pays qui possède ces chaînes d'information. Les médias peuvent donc être un autre moyen d'influence dans le monde puisqu'ils permettent de diffuser une vision politique voire des valeurs. D'ailleurs a preuve, on constate que même le régime autoritaire iranien tient lui aussi à être vu et entendu avec sa chaîne internationale PressTV.

Alors que peut-on retenir de tout cela. Et bien d'abord il ne faut pas confondre "guerre économique" et "guerre pour des raisons économiques". L'un des objectifs prioritaires des états est d'augmenter les performances des économies nationales et ce, quel que soit le contexte des alliances politiques. La nouveauté de l'intelligence économique, c'est de mobiliser de façon volontaire, simultanée, et coordonnée toutes les ressources d'un pays. Je pense aux universités, aux centres d'excellence, aux chambres de commerce et et d'industrie, aux forces de gendarmerie et de renseignement, même aux associations. Et bien c'est la convergence des données, des décisions et des actions qui permet le management fonctionnel de l'information.

Alors sur ce dossier complexe, vous pouvez lire le livre de Daniel Rouach "la veille technologique et l'intelligence économique" dans la collection Que sais-je ? aux PUF, et vous retrouverez sur le site du dessous des cartes un très grand nombre de références de livres en langue francaise et en langue allemande.

Lien
Les cartes du DDC sur l'intelligence économique et les liens complémentaires autour du sujet.

Agenda
Dans les dernières mises à jour de l'Agenda, un petit-déjeuner : "Veille et intelligence économique" avec Jérôme Bondu le jeudi 10 novembre de 8h30 à 11h00 et une tentative d'intelligence scientifique avec la conférence l'Etudiant : "Communication : comment enseignants et chercheurs peuvent-ils contribuer à la notoriété de votre établissement ?" le jeudi 17 novembre de 9h30 à 16h30.

mardi 11 octobre 2011

Intelligence économique et énergie

Agenda addendum
Dans JAH 2011 : intelligence économique au programme  était annoncé un atelier/table-ronde "Intelligence économique" aux Journées Annuelles des Hydrocarbures GEP-AFTP, le mercredi 12 octobre 2011, de 14h45 à 16h15. Un atelier naturel pour le thème de cette année : "INNOVATION Défis technologiques et humains".

Le programme initial a été un peu ajusté (voir ici). La table ronde veut répondre à la question suivante :
Comment l’IE peut contribuer au maintien et à l’émergence d’une industrie parapétrolière compétitive et innovante, répondant aux attentes actuelles en matière d’énergie et d’emploi ? 
Elle sera présidée par Philippe Caduc PDG (ADIT Société nationale d’intelligence stratégique, cf. Non CLADe : ADIT, quel paradoxe !) en remplacement de Bernard Carayon retenu aux Journées parlementaires, et verra des interventions de Hervé L’huillier (TOTAL, Direction IE) : "fondamentaux de la vision de TOTAL en Intelligence économique" ; de Kamel Bennaceur, présentée par Yves Morel (SCHLUMBERGER) : "perspectives parapétrolières dans un environnement cyclique et une compétition internationale" et  de Jean-Pierre VUILLERME  (directeur du pôle management des risques de l’ADIT société nationale d’intelligence stratégique) : "Les nouveaux modes opératoires de l’IE".

La table-ronde animée par Christine JOUCLAS, s'achèvera en conclusion et débat questions/réponses.