dimanche 6 février 2011

Intelligence politique dans le bleu

Georges Pérec
Information
Sommes-nous à la fin de l'histoire, pour que celle-ci hoquète et se répète, et que malgré cela nous ne sachions l'entendre en avance, et y répondre proprement ? Attention, la suite contiendra des jeux de lettres, dans l'espoir de trouver dans la contrainte les éléments d'un OuIéPo, OUvroir d'Intelligence Économique POtentielle, dédié à Gorgs Prc et GeLe.

Rappel du dernier épisode : dans Non CLADe : bleuïte aiguë, un lien un peu barbare associait les évènements de soulèvement démocratique (je mets les guillemets entre parenthèses, par naïveté) au Maghreb (la Tunisie, au couchant), aux frontières du Machreq (l'Égypte au levant) et l'affaire Renault d'espionnage-industriel-manipulation-carabistouille-déstabilisation-cafouillage, à des affections virales imaginées :
  • tunisite, 
  • égyptose,
  • losangivite. 
Si égyptose et losangivite semblent encore néologismes, la notion de tunisite (aiguë elle aussi) était présente auparavant dans le Soir Échos (2011-01-28), Pas d'épidémie de « tunisite aiguë » (par Selma Tannouche Bennani, repris dans Maghress).

Bleu, Yves Klein
Le dénonimateur commun identifié était alors la bleuïte (aiguë, avec tous les trémas), du nom d'opérations de manipulation popularisées (du public) lors de la guerre d'Algérie (cf. épisode 2/4 du podcast sur l'Histoire sur renseignement). Il n'était pas encore si public fin janvier que l'affaire Renault arrive (à pied par la Chine) jusqu'à l'Algérie moderne et Geos Algérie: Quand Renault piste des espions présumés via Alger (@BrainsFeed). L'implantation de Geos Algérie est donnée à Hydra, rue des Crètes, qui pourrait faire penser à des êtres multicéphales régnant sur les sommets. Geos qui a d'ailleurs connu des honneurs "people" par Pierre Montoro (directeur de Geos Algérie, qui faisait partie de la délégation officielle accompagnant la visite d'État du Président Nicolas Sarkozy, en Algérie, dans la délégation de 108 chefs d’entreprises présidée par Mme Laurence Parisot, Présidente du MEDEF et M.Yves-Thibault de Silguy, Président de Vinci et co-président du Conseil des chefs d’entreprises algériens et français, en décembre 2007.)

Par ailleurs, deux occurrences de l'EGE se retrouvent, au Maghreb d'abord : "C'est en effet de recul dont on fait preuve les participants à la première table ronde organisée mercredi dernier par l'École de gouvernance et d'économie (EGE) de Rabat" (dans Geos Algérie: Quand Renault piste des espions présumés via Alger), et bien sûr ensuite à l'École de guerre économique pour Renault.

Nietzsche façon Munch
Si seulement, les cîmes et les cerveaux... Autant la bleuïte aiguë est affaire d'intelligence (au double sens), autant ces trois évènements laissent transparaître (à dessein ?), ou du moins font gloser sur des erreurs de débutants et des maladresses de bleu-bites (obtus) : sous-estimation par le pouvoir ou la gouvernance d'une entreprise de la réaction des peuples ou des employés, anticipation étatique limitée (la guerre économique nous ronge sous le regard béat de nos dirigeants, et la cession de l'ADIT, avis de la Commission des participations et des transferts), coordination étrange des industries et des services dans l'information transmise (DCRI et DGSE via Geos ?).

Si l'on reste avec bleu-bite, de bitau pour apprenti et bleu pour l'uniforme (ici chez Citroën, ce constructeur automobile à tréma n'avait pas encore été évoqué, tandis que PSA et BMW officialisent un accord sur l'hybride et Bolloré promet la technologie lithium-metal-polymère, tandis que la Poste pousse à la roue de la voiture électrique) dans le vocabulaire militaire cher à Carlos Ghosn, la culture du signal faible ne semble pas encore consolidée, et l'on ose à peine espérer être capable d'en tirer quelques enseignements pour l'avenir (Intelligence économique & affaire Renault : un mal pour un bien ?).

Pour cela regardons dans le passé. Du très récent des citations du dernier billet : "C'est presque toujours par erreur qu'on apprend..." et "Donnez-moi dix hommes comme Clouseau et je pourrais détruire le monde". Du Clouseau héros simplement comique des affaires étranges, nous irons vers le lointain archétype des affaires étrangères, le prince Charles-Maurice de Talleyrand, dit le diable boiteux, dont la complexité de pensée et d'action ne sauraient être résumées. Homme loué ou conspué selon les cas ou les époques, dont les phrases sont devenues citations (voir plus loin). Faisons une expérience de pensée sur "Là où tant d'hommes ont échoué, une femme peut réussir" et remplaçons dix hommes par une femme, dans le tragique ministériel des affaires étrangères.


Le prince de Talleyrand, par Antoine Maurin
Document
Le 3 mars 1838, Talleyrand délivre un discours à l'Académie des Sciences morales et politiques (sic), éloge de son ancien subordonné au ministère des Affaires étrangères, Charles-Frédéric (Karl Friedrich) Reinhard, qui fut lui même ministre des affaires étrangères quelques mois en 1799. Ce texte, Éloge de Monsieur le comte Reinhart (ou Reinhard), prononcé à l'académie des sciences morales et politiques par Monsieur le Prince de Talleyrand, est disponible en pdf ou via l'hydre Google books. Talleyrand à l'occident de sa vie y dresse un portrait (personnel ?) empreint de finesse, qui raisonne jusqu'à aujourd'hui.

Extraits de l'Éloge de Monsieur le comte Reinhart (ou Reinhard), prononcé à l'académie des sciences morales et politiques par Monsieur le P. de Talleyrand. un extrait plus entier est offert en  pdf ainsi qu'en lecture de vacances, sur le blog À contre-courant, par François Nicoullaud, diplomate, né...en Égypte. Ah l'histoire !

"[...], il savait déjà combien de qualités, et de qualités diverses, devaient distinguer un chef de division des affaires étrangères. [...] il devait avoir sans cesse présents à la mémoire tous les traités, connaître historiquement leurs dates, apprécier avec justesse leurs côtés forts et leurs côtés faibles, leurs antécédents et leurs conséquences, savoir enfin les noms des principaux négociateurs, et même leurs relations de famille ; [...] ; mais il savait aussi que beaucoup de considération s'attachait naturellement à une vie aussi pure et aussi modeste.

L'esprit d'observation de M. Reinhart ne s'arrêtait point là ; il l'avait conduit à comprendre combien la réunion des qualités nécessaires à un ministre des affaires étrangères est rare. Il faut en effet qu'un ministre des affaires étrangères soit doué d'une sorte d'instinct qui, l'avertissant promptement, l'empêche, avant toute discussion, de jamais se compromettre. Il lui faut la faculté de se montrer ouvert en restant impénétrable; d'être réservé avec les formes de l'abandon, d'être habile jusque dans le choix de ses distractions ; il faut que sa conversation soit simple, variée, inattendue, toujours naturelle et parfois naïve; en un mot, il ne doit pas cesser un moment dans les vingt-quatre heures, d'être ministre des affaires étrangères.

Cependant, toutes ces qualités, quelque rares qu'elles soient, pourraient n'être pas suffisantes, si la bonne foi ne leur donnait une garantie dont elles ont presque toujours besoin. Je dois le rappeler ici, pour détruire un préjugé assez généralement répandu : — Non , la diplomatie n'est point une science de ruse et de duplicité. Si la bonne foi est nécessaire quelque part, c'est surtout dans les transactions politiques, car c'est elle qui les rend solides et durables. On a voulu confondre la réserve avec la ruse. La bonne foi n'autorise jamais la ruse, mais elle admet la réserve : et la réserve a cela de particulier, c'est qu'elle ajoute à la confiance.

[...] un ministre des affaires étrangères [...] se trouve ainsi placé dans la plus belle situation à laquelle un esprit élevé puisse prétendre."
Quelle magnifique concordance des temps, quand on se souvient que Talleyrand était intégralement Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, que Madame Michèle Alliot-Marie annonce :  la prochaine fois, "Je ne quitterai pas la Dordogne" (sur le site des flux rss de l'Aveyron). La bonne question est désormais : faut-elle vivre en Dordogne, pour ne plus vouloir la quitter ? L'opposition vient-elle de trouver une nouvelle cible molle, comme du fois-gras ? Que nenni, contre-attaque Michèle Alliot-Marie dans une tribune récente : "Nous défendons une Europe puissance". Diantre.

La truffe
Citations
On ne prête qu'aux riches. Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord [dit Talleyrand (1754-1838 à Paris), homme politique et diplomate français, issu de la haute noblesse, via une carrière ecclésiastique puis laïque] est réputé pour ses aphorismes frappants. En voici une poignée (dédicace aux locaux CJ et EJ) qui résonne encore aujourd'hui à Guyancourt, Orsay ou Tamanrasset :
On connaît, dans les grandes cours, un autre moyen de se grandir : c'est de se courber.

En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai.

Nous appelons militaire tout ce qui n'est pas civil.

Les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l'État les fait mal.

La politique ce n'est qu'une certaine façon d'agiter le peuple avant de s'en servir.

Si les gens savaient par quels petits hommes ils sont gouvernés, ils se révolteraient vite.

Tout ce qui est excessif est insignifiant.
Soyez à leurs pieds. A leurs genoux... Mais jamais dans leur mains.

Il y a une chose plus terrible que la calomnie, c'est la vérité.

On peut violer les lois sans qu'elles crient.

Là où tant d'hommes ont échoué, une femme peut réussir.

Les mécontents, ce sont des pauvres qui réfléchissent.

Le meilleur moyen de renverser un gouvernement, c'est d'en faire partie.

On ne croit qu'en ceux qui croient en eux.

Agiter le peuple avant de s'en servir, sage maxime.

Un ministère qu'on soutient est un ministère qui tombe (in cauda venenum)

Et restons enfin conscients des limites de l'exercice :
L'esprit sert à tout, mais il ne mène à rien.
L'intelligence économique peut toujours s'aiguiser : sur les pièges à miel tendus à l'industrie française (The Telegraph, 2011-02-01).

Lien
Henri Martre
Nicolas Moinet (auteur primé de Petite histoire de l'intelligence économique, une innovation "à la française") propose dans Pour comprendre l’IE « à la française » une lecture des temps de l'intelligence économique en France (brève), en revenant opportunément sur le rapport Martre (d'après Henri Martre, né en Algérie). Si on ne retient parfois que la définition usuelle de l'intelligence économique : "l’ensemble des actions coordonnées etc.", la suite mérite amplement relecture :
Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coût [NDLR : introduction de la notion de qualité-projet]. L'information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision de l'entreprise ou de la collectivité, pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques  nécessaires à l'atteinte des objectifs définis par l'entreprise dans le but d'améliorer sa position dans son  environnement concurrentiel. Ces actions, au sein de l'entreprise, s'ordonnent en un cycle ininterrompu,  générateur d'une vision partagée des objectifs à atteindre. La notion d'intelligence économique implique le  dépassement des actions partielles désignées par les vocables de documentation, de veille (scientifique et  technologique, concurrentielle, financière, juridique et réglementaire...), de protection du patrimoine  concurrentiel, d'influence (stratégie d'influence des États-nations, rôle des cabinets de consultants étrangers, opérations d'information et de désinformation...). Ce dépassement résulte de l'intention stratégique et tactique,  qui doit présider au pilotage des actions partielles et su succès des actions concernées, ainsi que de l'interaction entre tous les niveaux de l'activité, auxquels s'exerce la fonction d'intelligence économique : depuis la base (internes à l'entreprise) en passant par des niveaux intermédiaires (interprofessionnels, locaux) jusqu'aux niveaux nationaux (stratégies concertées entre les différents centres de décision), transnationaux (groupes multinationaux) ou internationaux (stratégies d'influence des États-nations). 
Le rapport coordonné par Henri Martre, Intelligence économique et stratégie des entreprises, est disponible en pdf à la documentation française.

eMedia
BFM Business a diffusé hier soir un intelligent tétralogue (tweeté par @SpinPartners) sur le thème de l'intelligence économique, dont les références, invités et podcasts mp3 sont mis à disposition. Où l'on évoque une définition de l'intelligence économique, ou comment user efficacement de l'information pour se développer, en étant conscient que l'on est dans la compétition (aspects offensifs et défensif) en utilisant l'information gratuite ou payante, une réflexion sur l'information par el biais de l'innovation, donc de la recherche, donc la recherche par la technologie (d'après C. Harbulot). Plus de podcasts sur la page eMedia.

Agenda
L'Association nationale des auditeurs jeunes de l'Institut des hautes études de défense nationale (ANAJ-IHEDN), en partenariat avec l'Asia Centre, est heureuse de recevoir Monsieur Yves TIBERGHIEN, Professeur de Science politique à l'University of British Columbia pour une intervention sur le thème : "Quel rôle tiendra la Chine dans la gouvernance mondiale ?"

ANAJ-IHEDN
Cette conférence est organisée le mercredi 16 février 2011, de 19h15 à 21h00 à l'Amphithéâtre Lacoste de l'École militaire (Paris VII). Associate Professor au département de Science Politique de l’University of British Columbia au Canada, Yves TIBERGHIEN, diplômé de Stanford, est spécialiste en économie politique comparative (Japon, Corée, Chine et Union Européenne) et en relations internationales (Gouvernance et mondialisation).Ses orientations de recherche portent principalement sur le glissement des centres de pouvoir mondial, le rôle de la Chine dans la gouvernance économique mondiale dans ses aspects financiers (G20, régulations bancaires, système monétaire international) et environnementaux (Climat, OGM) ainsi que les effets de la mondialisation sur l’élargissement de l’inégalité économique.

Inscription gratuite pour tous, mais obligatoire à l'adresse suivante :
http://tinyurl.com/anaj-chine

D'autres manifestions locales en intelligence économiques sont sur l'agenda-calendrier d'Information CLADE.

1 commentaire: